17.10.07

Portrait 20 Exposition AST 67 "Vivre son travail": Didier Fouillet, restaurateur
























Cet article fait partie de la série réalisée dans le cadre du projet de l'AST 67 "Vivre son travail".
Pour en savoir plus, rendez-vous ici.


Croire et oser


Avec Didier, c'est l'histoire d'un hasard, celui qui fait les belles rencontres pour peu que l'on soit prêt à les vivre.

Didier, je l'ai rencontré d'abord dans la rue au coin de son restaurant de Bouxwiller.
Et pour dire vrai, ce sont en fait ses oeuvres qui ont d'abord retenu mon attention.
Car Didier, restaurateur de son état, est non seulement un artisan de la bonne chère, c'est surtout un artiste de la vie, un poète.
Sculpteur à ses heures, c'est donc vers quelques-unes de ses productions en grès des Vosges que mon oeil fut attiré. Elles étaient là, posées contre le mur de son restaurant, dans une minuscule impasse, attendant la main experte qui terminerait de les façonner. J'étais sur le point de les photographier lorsqu'il arriva. Moins de 5 minutes plus tard nous poursuivions notre conversation à l'intérieur de La Petite Alsace, son antre gastronomique dans laquelle il officie en cuisine pendant que son épouse Corinne assure le service en salle.

"Participer à un projet sur le travail, ce que j'en pense, qu'est-ce que j'aime ?"

Oui, bien sûr que Didier était d'accord avec cette idée, du moment que cela nous permettrait de vivre un vrai moment d'échange, d'apprendre à mieux se connaître, de me faire partager sa passion des champignons, de m'emmener, pourquoi pas, sur les hauteurs de Bouxwiller pour me faire admirer la plaine alentour, lui le Lyonnais d'origine aujourd'hui amoureux de ce morceau de province alsacienne.

Rendez-vous était donc pris pour la semaine suivante. "Tu en profiteras pour goûter ma cuisine, tant qu'à faire !"

"J'ai grandi à Irigny, je suis le 14ème d'une famille nombreuse. Mon frère aîné a 26 ans de plus que moi, on peut dire que je suis un petit dernier !"

Assis devant un verre de Muscat délicatement parfumé en guise d'apéritif, mes papilles sont à peu près déjà aussi réjouies que mes oreilles et mes yeux. Je sais déjà que le moment sera délicieux, que cet homme qui accepte avec simplicité de répondre à mes questions est un homme qui vit, qui profite de chaque instant, et qui sait aussi vous offrir ce que la nature lui a offerte. Bref, un joli moment d'humanité comme je les aime s'offre à moi, je vais tout faire pour en profiter au maximum.

C'est jour de relâche aujourd'hui dans le restaurant, comment en serait-il possible autrement ? Un restaurateur comme Didier ne pourrait dans le même temps participer à une séance photos et répondre à une interview tout en surveillant la cuisson d'une viande, préparer une sauce dont il a le secret, s'occuper de son four et servir comme il se doit les amoureux de la vie qu'il accueille chez lui.

"Je suis né en 1962 et depuis tout petit je me souviens qu'à table on était jusqu'à 24 ! Et je me souviens aussi que j'ai toujours vu cuisiner beaucoup de monde. J'ai malheureusement perdu trop tôt mes parents et c'est mon frère aîné et sa femme Colette, qui m'ont élevé. C'est Colette qui m'emmenait au marché - j'avais déjà un bon coup de fourchette en ce temps-là - et qui m'a donné le sens d'acheter correctement pour ne pas me faire pigeonner. Quand on rentrait à la maison, c'est moi qui préparais les frites."

"J'ai connu quelques malheurs dans ma vie mais aussi beaucoup de bonheur. J'ai rencontré des gens extraordinaires. Les gens autour de moi m'ont toujours donné beaucoup d'attention. Et j'ai toujours eu des aînés autour de moi, j'étais en même temps le petit terrible de la maison et le petit chouchou. Et puis, j'ai bénéficié d'un environnement de femmes, j'ai été pour ainsi dire construit par les femmes."

C'est dans un monde paysan, juste à côté de la maison familiale de l'Abbé Pierre, que Didier a grandi. "Les lapins, les poules, les chiens, la pêche, les champignons, la forêt c'était mon royaume. Il y avait de la place pour les animaux chez nous."

Il y a de la place pour l'amitié et la fidélité aussi chez Didier. La preuve, c'est que son ami d'enfance Frédéric ne manque jamais de passer le voir lorsqu'il passe à proximité. "Je devrais d'ailleurs dire mon frère, on a fait les 400 coups ensemble. Nous avons fait beaucoup d'heures supplémentaires à l'école, si tu vois ce que je veux dire ! L'école, c'était pas mon truc. J'avais du mal à me concentrer. Et nous étions une classe difficile. Mais on a tous eu notre BEPC pour faire plaisir à notre prof principal ! Et tu te rends compte, une de mes anciennes institutrices est venue manger dans mon restaurant ici. Ca fait quelque chose. "

Les souvenirs lui sont chevillés au corps à Didier, ce sont ses racines. Il sait d'où il vient cet homme-là. "Les vacances je les passais en Auvergne dans un endroit où vivait une dame qui a aujourd'hui 84 ans. Elle s'appelle Claudia. Elle m'a téléphoné récemment pour me dire Viens me voir avant que je m'en aille !"

"Nos racines, ce sont nos forces aussi", me dit-il dans un sourire pudique.

Didier a rapidement suivi un apprentissage de cuisine. "C'était ça ou être pompier professionnel. J'aimais bien l'uniforme ! Là, en cuisine, il n'y a avait pas de problème, visiblement j'étais fait pour ça. J'ai été le dernier des Mohicans, l'apprentissage se faisait encore au fourneau à charbon ! Et j'y suis allé au charbon ! J'ai eu d'excellents maîtres. L'un deux, ça a été comme mon père. Et je suis allé me former chez des chefs étoilés, en Bourgogne puis en Alsace. Peu à peu, mes bases sont devenues alsaciennes, dans le Haut-Rhin d'abord, puis je me suis installé à Bouxwiller il y a 13 ans. C'est un bel emplacement ici, en plein centre-ville, une ville historique à découvrir."


Son premier restaurant, Didier l'a ouvert à l'âge de 27 ans. "Je n'avais pas un radis de côté. Ca n'a pas été facile, mais j'ai du caractère ! Et avec ma femme, qui est colmarienne, nous formons une vraie équipe, moi en cuisine, elle en salle. Nous travaillons depuis longtemps ensemble, nous avons trouvé le bon équilibre, c'est important vu le temps qu'on passe ensemble. C'est un peu comme l'équipage d'un bateau on doit tenir ensemble sinon on coule!"

Une année de service militaire chez les parachutistes, "ça apprend la discipline" me dit Didier. "J'ai appris à me discipliner envers moi-même. Le dicton du para, c'est croire et oser, ça me va bien !"

Pour Didier, "le restaurant c'est comme un théâtre. il y a une répartition des rôles. Chaque service, c'est comme le rideau qui se lève. On connaît sa partition, son rôle sur le bout des doigts mais c'est toujours un autre public !"

"J'ai besoin aussi de me sentir libre. D'être en mouvement. Une balade en forêt, c'est merveilleux. C'est infini. La forêt c'est mon église à moi. Je suis un homme qui "sent le blaireau", un type de la nature quoi, on ne triche pas avec ça. J'aime ce qui est grand, l'air libre. Je n'aime pas courir dans les pots d'échappement, je préfère de loin m'échapper dans la nature."

Tout l'intéresse. Une vie ne suffirait pas. "Je suis un boulimique de la vie. Je sais que je ne pourrai pas faire le quart de ce qu'il y aurait à faire. En même temps, je suis un type zen. J'ai beaucoup appris sur le terrain et j'aime le contact. Je peux être impulsif, mais j'aime aussi le contrôle et la maîtrise, ça peut paraître paradoxal. L'heure c'est l'heure."

Une nature que ce Didier, c'est sûr. Un homme qui aime partager, qui aime donner. La fin de notre entretien ne pouvait décemment pas finir autrement qu'en me faisant découvrir l'une de ses spécialités... Le repas qu'il me servit ce jour-là fut une vraie fête des sens. Le suivre ensuite sur la colline du Bastberg pour découvrir la nature qu'il aime à retrouver le plus souvent possible me permit une digestion plus facile.


Ses recommandations pour s'éclater dans son métier:

- "Respecter les gens.

- Se faire plaisir, pour faire plaisir.

- Se remettre en question, on n'a jamais fini.

- Donner de la disponibilité.

- Sortir de la routine quotidienne pour se démarquer. La vie est courte si grâce à moi, mon client s'est senti bien accueilli, comme à la maison mais avec une petite surprise en plus, c'est parfait.

- Aller de l'avant, y aller à fond. C'est comme quand je pars dans la forêt, je n'aime pas revenir sur mes pas, je fais un circuit différent à chaque fois.
Aller au-delà de ce qu'on connaît déjà, comme le pilote d'hélicoptère qui peut voir plus haut, plus loin, avec un autre point de vue."

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Nous sommes mis en appétit...